Prière d'insérer ma vie
suivi de A présent chaque jour qui passe et de Déclin en ma carcasse / Poème
« On se demandait / combien de temps / durerait notre esclavage / sur cette terre / il aurait fallu / commencer autrement »
(4ème de couverture)
Nous marcherons nus dans la courbe
de nos crânes
pour revenir ou disparaître
puis, dans l’angle vif du jeu
l’amour récent nous donnera l’escapade
neuve
aujourd’hui le vent se ferme sur ta paupière
le grain des montagnes
l’eau te regarde
fronce les sourcils, les songes ont sonné
toutes les heures
— départ
pars, l’éventail des feuilles
vois dans chaque arbre sa renaissance
enfin dors :
la poussière va s’envoler
(Extrait)
« Zéro orientation,
quelqu’un me donne la mort»
le battement de ma phrase s’obscurcit
si j’attends encore ma respiration
s’accordera à la vôtre et je perdrai mes yeux
Présentez-vous
« Une erreur infaillible me perfectionne»
comme une écriture que l’on brise entre
deux pierres disparues
à travers toute vitre je vois
la fin de quelqu’un,
une identité
ce que je décline,
un regard injecté de lieux communs,
ma chambre, mon atelier…
Votre nom
Vent, sourire,
plaisirs d’adulte,
gonflements
je ne sais pas
Présentez-vous
Il me manque la défaillance des traits
traits de visage
j’ai cru par instants rejoindre une vérité
plus profonde,
comme le fleuve la mer
Votre nom
Il désigne la branche et détache le fruit
je sais qu’enfant il troublait l’étang où
je me noyais
régulièrement
Présentez-vous
J’ai écrit l’infatigable brutalité
de tout cela
Votre nom
Mais ce qui s’écrit c’est moi, établissant
le calme c’est un corps
ni conscience ni lieu
ce qui s’écrit: la fin de quelqu’un
bientôt la vague des regards ramènera ma
blanche promesse et décidera de mon art
Prière d'insérer ma vie / Poème
......
Voulez !
voulez-vous dormir par exemple, dormir ?
l’ombre est courte à …… cigales d’avoir voulu trop voir un parapluie quand il pleut
d’avoir voulu ... braque mon oeil au déclic, on fera cercle autour de la vie
et le soir, on s'endormira sans peur
puis
voulez !
voulez-vous dormir, par exemple dormir la vie est courte d'avoir voulu quand il pleut
A présent un feuillage dort sous terre. Mes yeux versés à l'inutile se laissent choir de l'âge. Dès l'éveil de faim, je palpe une vieille enfance. Seule sa respiration simule la présence des choses.
Au plus profond de la nuit, je me vide à la cruelle vigilance d'un acte où s'inscrit le mouvement de mon corps.
Le jour je retourne dans ma tête la prairie herbeuse et le peu d'engrais que l'air malsain empêche de grandir.
Devant moi, le désordre de ma peine scrute la paresse du sol, j'attends le plus profond dénudé hier, l'amorce de l'exil.
Tant d'enfants s'égarent dans un cri quand au coeur de l'eau ils dévisagent le lointain, comme le feu, comme la nuit.
......
Les trimbaldiens / Roman
Blaise pensait aussi à Djami, sous sa pyramide de pierre. II s'imaginait ce qui serait advenu de lui si, au lieu de le ramener dans son pays, ils s'étaient rendus à Paris. Le Mercure de France lui aurait ouvert ses portes pour qu'il raconte ses souvenirs avec l'homme aux semelles de vent. On l'aurait promené de salon en salon comme une bête curieuse. Paterne Berichon, envoyé par Isabelle Rimbaud, la soeur d'Arthur, aurait essayé de l'assassiner pour qu'il ne vienne pas contredire le mythe qu'ils avaient édifié. On aurait fait courir plein de bruits sur lui, trouvé un surnom, truqué ses dires. Stop. Blaise sentait qu'il avait besoin de partir pour ne pas s'enliser.
-Vendre, tout vendre et s'en aller.
Assis sur sa grande malle en osier, Blaise dressa l'inventaire de ses richesses susceptibles de trouver preneurs: romans de quatre sous, indicateur des horaires de tous les trains d'Amérique, croquis d'amis peintres, une édition de 1532 du testament de Villon, imprimé à Lyon, dont la présence dans sa poche l'avait plus d'une fois empêché de virer voyou, des assiettes et des verres aux initiales des Messageries maritimes. Après quoi, il prit le large, quitta Paris pour écrire, loin de toute école et académie: « Je est un autre »*.
Une des dernières lettres qu'il reçut de Lulu disait: «Ah! bon Dieu, si vous aviez vu ça, caporal! la côte du Nicaragua et le Honduras couverts de forêts tropicales. Sur le canal de Panama, j'ai sabré une bouteille de champagne en votre honneur.»
Il fait calme, très chaud, très humide, des éclairs sillonnent l'horizon de tous côtés. De temps à autre, passe un grain qui se fond en déluge, nous marchons péniblement nos quinze noeuds.
L'eau est de plomb fondu, parsemée de tortues endormies, qui servent de perchoirs à des oiseaux de tuer. La nuit, j'aperçois le feu rouge du volcan, Izalco, "El Farol del Salvador", pour les marins.
La spécialité du pays est le coucher de soleil. En attendant la visite du service de santé, tout le monde guette le rayon vert. Un paquet doit suivre cette lettre, je vous expédie un "couroucou" que j'ai acheté au marché de San José. C'est l'oiseau symbolique du Guatemala. Sa queue, de près d'un mètre de long, au plumage vert électrique, se termine par deux petites plumes du même ton. Appelé aussi "couroucou resplendissant" ou "quezal", il vit au fond des forêts et s'acclimatera dans votre pays imaginaire, ce pays dont vous m'avez parlé dans une de vos lettres, qui vous empêche de vieillir et rassemble tous ces lieux où vous rêvez d'aller... un peu à l'image du "Zanzibar" de Rimbaud qui symbolisait tous ses "ailleurs" auxquels il n'a jamais cessé de penser et me rappelle le surnom que Djami lui avait trouvé: Farengi YZ.
Eh bien, figurez-vous caporal, que l' "Y" du lieu introuvable, du "j'y vais", qui désigne n'importe quel lieu, je l'ai trouvé. Il existe réellement. J'en ai eu la révélation en observant une statuette primitive qui représentait un homme en marche. Le soleil l'éclairait de telle façon que son ombre portée dessinait au sol, et très nettement, un "Y" renversé.
Et bien, c'est ça, le lieu introuvable, cette ombre portée qui s'efface à chaque pas pour réapparaître dans le suivant et désigne, en un instant, un lieu éphémère, un endroit précis.
Essayez, vous verrez. Une fois qu'on a commencé, on ne s'arrête plus.
p S. : « Ce n'est rien! j'y suis! j'y suis toujours » écrit Rimbaud dans un de ses poèmes recopiés par la main de Djami. Ils ne me quittent jamais et me font dire parfois, qu'à forçe de les trimbaler, je suis un «trimbaldien».
Maintenant j'y vais